Par Julie de Lassus Saint-Geniès
Avocat à la Cour – Paris (France)
Loin du sable chaud et du murmure des vagues, perchés sur une étagère couverte de poussière, les revues de jurisprudence débordent des agitations juridiques autour de la photographie de voyage. Les clichés de voyage s’y révèlent un objet juridique protéiforme souvent source de discorde.
La preuve par l’image
Les photographies de voyage des particuliers, en ce qu’elles témoignent du décalage entre le niveau de vie déclaré de leur auteur et la réalité, sont utilisées par l’Administration pour déjouer les fraudes fiscales. La saisie de ces photographies a d’ailleurs été jugée valable et pertinente par la Cour de cassation aux termes d’un arrêt du 12 octobre 2010.
L’appropriation de la photographie de voyage à titre publicitaire
Les photographies de voyage étant un puissant outil de marketing, les appropriations ou les interprétations personnelles des plans médias ne sont pas rares.
A titre d’illustration, le 20 mai 2016, le Tribunal de grande instance de Paris (devenu Tribunal Judiciaire) s’est prononcé à propos d’une action en contrefaçon et en parasitisme intentée par un photographe spécialisé dans la photographie de voyage. Celui-ci avait réalisé en Malaisie des clichés repris par la suite sans son accord par une société commerciale afin d’illustrer des offres de location de bateaux. Le Tribunal a considéré que la production des éléments suivants, pourtant assez succincts, établissaient la paternité du photographe :
– clichés provenant du propre site internet du photographe sur lesquels était apposée une mention le créditant ;
– copies de son passeport établissant son voyage en Malaisie en 2002.
En revanche, le Tribunal a jugé que les clichés n’étaient pas protégeables au titre du droit d’auteur : « en définitive, l’ensemble de ces photographies a pour principal objet et mérite de rendre compte semble-t-il fidèlement de vues de cette partie de la Malaisie mais sans qu’aucune intention du photographe ni choix esthétique n’ait présidé à la prise de ces clichés », et a condamné la société commerciale uniquement sur le terrain du parasitisme (fait de tirer profit d’une valeur individualisée appartenant à autrui).
A l’inverse, par un jugement du 21 septembre 2006, le Tribunal de grande instance de Paris a constaté la contrefaçon résultat de la diffusion en ligne d’une photographie pour illustrer la rubrique « Grand Voyageur » de la SNCF; la diffusion sur internet ayant été expressément exclue de la cession de droits. Le Tribunal a retenu pour caractériser l’originalité de ce cliché : « (…) la pose du mannequin installé confortablement jambes croisées dans un fauteuil et consultant un organisateur électronique, l’angle de la prise de vue légèrement en contrebas et de trois quart, l’éclairage montrant un arrière-plan presque blanc à l’exception d’un tableau d’annonces des départs de trains et le choix des objets qui y figurent donnent en effet une ambiance intimiste et décontractée à la photographie. Ces éléments reflètent bien l’empreinte de la personnalité (…)(du photographe) ».
La rétractation d’une cession de droits
La question de la rétractation de l’autorisation donnée par le sujet photographié divise la doctrine. En effet, la jurisprudence se contente souvent d’une rédaction souple et générale dans le cadre de cession de droit à l’image, alors qu’elle exige une rédaction rigoureuse et détaillée lorsqu’il s’agit de la cession de droits d’auteur, ce que des mannequins ont appris à leur détriment.
Ainsi un modèle qui avait consenti un plan média en des termes imprécis auprès d’une société ayant organisé un reportage photographique à Djerba, découvrait avec que son image fixée lors de ce reportage était à présent utilisée par un tiers voyagiste pour promouvoir ses offres saisonnières.
La juridiction de Nanterre a débouté la mannequin de ses demandes après avoir relevé que « (…) le fait de prévoir une utilisation illimitée pour tous médias constitue une autorisation générale de reproduction permettant notamment la cession des clichés à des tiers. Ainsi ces dispositions contractuelles, en l’absence de limitation particulière, autorisaient l’utilisation des photographies pour la promotion de (ces) voyages organisés ».
En revanche, dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a annulé un contrat conclu par un mannequin en ce qu’il avait été signé par celle-ci alors qu’elle était mineure sans l’autorisation de ses représentants légaux.
Moralité : qui veut voyager loin, ménage le périmètre de ses cessions.
L’iconique magazine PHOTO invite Me Julie de Lassus Saint-Geniès, avocat au Barreau de Paris et fondatrice de la Boutique du droit dans ses pages.
C’est ainsi qu’à chaque numéro une chronique est consacrée à un aspect différent du droit de la photographie.
Me Julie de Lassus Saint-Geniès, est titulaire d’un DEA (aujourd’hui Master 2 Recherche) en droit de la propriété intellectuelle à l’Université Paris II – Panthéon Assas, sous la direction du Professeur Pierre-Yves Gautier et d’un DESS (aujourd’hui Master 2) de droit des affaires à l’université de Dauphine à Paris sous la direction des Professeurs Gastaud et Louvaris.
Après avoir collaboré avec Me Carine Piccio, Me Gérard Haas et Me Alain Toucas, Me Julie de Lassus Saint-Geniès a fondé la Boutique du droit, cabinet de pointe en droit des affaires incorporelles.