Par Julie de Lassus Saint-Geniès
Avocat à la Cour – Paris (France)
Du 10 au 13 novembre 2022 se tiendra la 24ème édition de Paris Photo, au Grand-Palais à Paris. Parmi les exposants, de prestigieuses galeries viendront du monde entier (Tokyo, Cape Town, San Francisco, Istanbul, Copenhague, etc. sans oublier de nombreuses galeries françaises), l’occasion de nous pencher sur les relations qu’entretiennent artistes et galeries d’art.
Un lien de confiance
Le lien entre un artiste et son marchand est avant tout un lien de confiance dont la nature varie au gré de chaque relation. Aussi, le contrat est souvent conclu intuitu personae, ce qui implique qu’aucune des parties ne puisse rétrocéder ses engagements. Ponctuels ou durables, ces accords de confiance peuvent n’être qu’oraux, mais avec alors un risque de discorde, les paroles s’envolant tandis que les écrits demeurent.
Une variété de contrats
Il existe une variété de contrats et une pluralité de clauses, selon l’intensité de la coopération artistique voulue par les photographes et les galeristes.
Trois grandes catégories de contrats sont à distinguer :
La location d’espace | le photographe loue tout ou partie de l’espace d’exposition d’une galerie (salle, mur ou cimaise). |
Le dépôt-vente | le photographe laisse en dépôt à la galerie ses clichés et donne mandat au galeriste de les vendre |
La vente | le photographe vend ses œuvres à son galeriste, qui pourra ensuite les revendre |
Ces accords peuvent être conclus à titre exclusif, le photographe s’engageant alors à ne fournir ses œuvres qu’à son galeriste, ou encore prévoir un droit de premier regard permettant à ce dernier de découvrir en priorité les œuvres nouvelles et décider s’il souhaite les acquérir ou les prendre en dépôt-vente à sa galerie.
Des comportements parfois excessifs
Les excès peuvent venir des deux côtés tant durant l’exécution du contrat qu’à l’issue de celui-ci : concurrence déloyale d’un artiste qui vendrait ses œuvres à un collectionneur rencontré par l’intermédiaire de son galeriste, rythme de production artistique excessif, exigence de destruction d’œuvres non sélectionnées par le galeriste, rupture brutale, liquidation au rabais du stock des œuvres, etc.
Dès 1966, la Cour d’appel de Paris a jugé qu’un marchand ne pouvait contraindre un artiste à détruire certaines de ses œuvres, non plus qu’à signer d’un autre nom que le sien : « (…) le contrat méconnait le droit de (l’artiste) au respect de son nom en l’obligeant à prendre, pour la divulgation de ses œuvres, un nom différent de celui sous lequel il avait commencé à se faire connaître du public et en vendre une partie sans signature ; (..) (ainsi que) (…) (le) droit au respect de son oeuvre en prévoyant la destruction d’une partie de celle-ci à la suite (du) (..) choix arbitraire (du marchand) (…)».
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a annulé un contrat conclu entre un artiste et un galeriste imposant un rythme de production d’œuvres excessivement soutenu (obligation de mettre en permanence à disposition de son galeriste 70 œuvres) après avoir relevé que : « (…) la convention attaquée entamait la liberté créatrice de l’artiste, lequel ne pouvait se soumettre à sa seule inspiration, mais devait rechercher un rendement déterminé, ce qui était de nature à compromettre gravement la qualité de son oeuvre, sa réputation et son avenir.»
En 2011, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné un artiste pour avoir brutalement résilié le contrat le liant avec un galeriste, sans respecter un préavis raisonnable et l’a condamné au paiement d’une indemnité de 20.000 euros.
La jurisprudence illustre le plus souvent des relations déséquilibrées, qui ne sont évidemment, qu’une partie de celles pouvant exister.
Au quotidien, les litiges concernent souvent les œuvres mises en dépôt et leur état de conservation. Aussi est-il recommandé de conserver pour chaque dépôt un écrit, lequel peut prendre la forme d’un simple bordereau de remise contresigné.
D’une manière générale, prendre le temps de s’accorder sur l’objet de chaque relation à travers un contrat écrit est essentiel : c’est l’occasion pour chacun d’exprimer ce qu’il souhaite, d’entendre ce que l’autre recherche et de prendre la pleine mesure des concessions de chacun ; le droit cimentant ainsi la relation entre le photographe et son galeriste.
L’iconique magazine PHOTO invite Me Julie de Lassus Saint-Geniès, avocat au Barreau de Paris et fondatrice de la Boutique du droit dans ses pages.
C’est ainsi qu’à chaque numéro une chronique est consacrée à un aspect différent du droit de la photographie.
Me Julie de Lassus Saint-Geniès, est titulaire d’un DEA (aujourd’hui Master 2 Recherche) en droit de la propriété intellectuelle à l’Université Paris II – Panthéon Assas, sous la direction du Professeur Pierre-Yves Gautier et d’un DESS (aujourd’hui Master 2) de droit des affaires à l’université de Dauphine à Paris sous la direction des Professeurs Gastaud et Louvaris.
Après avoir collaboré avec Me Carine Piccio, Me Gérard Haas et Me Alain Toucas, Me Julie de Lassus Saint-Geniès a fondé la Boutique du droit, cabinet de pointe en droit des affaires incorporelles.