PHOTO n°552 – « La Preuve par l’Image » - chronique consacrée au droit de la photographie
Par Julie de Lassus Saint-Geniès – avocat à la Cour
La Boutique du droit
Tantôt objet du procès, lorsqu’elle est œuvre de l’esprit (photographie ou film artistique), l’image peut également être un puissant et complexe instrument de preuve, voire constituer l’objet même de l’infraction (ainsi de la fixation d’un crime ou de la détention d’images pédopornographiques).
En tant que moyen probatoire, l’image fait couler beaucoup d’encre. En effet, lorsqu’elle est prise dans un lieu privé, elle devrait en amont être autorisée a minima par l’occupant du lieu, sauf à constituer une atteinte au respect de sa vie privée. Elle est cependant constamment utilisée en droit de la famille pour démontrer ici les conditions de vie d’un ménage, là un syndrome de Diogène, un lien de parenté, une amitié ou encore le vol de tableaux. Lorsqu’elle capte les parties communes d’un immeuble ou la voie publique elle est souvent décriée, la première hypothèse nécessitant un accord de l’assemblée générale des copropriétaires, la seconde celle d’une émanation de l’Etat. La légalité des images est judiciairement vivement débattue : illégalité de la fixation et de la conservation, piteuse qualité de l’image ou allégation de mise en scène. Il n’empêche que pour qu’un tribunal se prononce sur la recevabilité d’une image comme pièce d’un procès, il se doit d’en prendre connaissance, ce qui constitue parfois le premier tour d’une partie de poker judiciaire.
Les autorités administratives ne sont pas en reste. A titre d’illustration, les photographies des lieux de crimes sont des éléments de preuve couramment utilisés dans le cadre de procès pénal, les photographies intégrés aux procès-verbaux d’officiers et agents de police judiciaire sont également utilisés pour démontrer l’existence de pollutions maritimes.
Le procès en diffamation qui a récemment opposé Johnny Deep à son ex-épouse Amber Heard a mis en évidence deux aspects de la fixation de l’image d’une personne :
- L’image comme preuve de faits anciens: ainsi des vidéos enregistrées alternativement par les deux protagonistes, plongeant le monde entier dans leur stupéfiant quotidien ou encore des enregistrements par caméras de surveillance dans l’ascenseur de l’immeuble où le couple résidait, lesquels ont été utilisées pour démontrer les infidélités de madame durant son mariage ;
- L’image comme preuve d’une mise en scène judiciaire: la captation et la diffusion des procès aux Etats-Unis est perçue comme une composante de la liberté d’information. La vie judiciaire de tout un chacun est ainsi librement exposée au public. Lorsqu’il s’agit de personnes connues, le procès judiciaire se transforme en une série à succès. Chaque image est ainsi captée et commentée. Tous les gestes, tous les termes, toutes les expressions y sont décortiqué(e)s, analysé(e)s, interprété(e)s. Malheur à celui ou celle qui passerait un peu trop vite d’une émotion à une autre.
La fixation des procès n’est depuis peu plus étrangère au droit français. En effet, un récent décret du 31 mars 2022 (n°2022-462) est venu bouleverser le système judiciaire français : les procès peuvent désormais être filmés ou enregistrés. La demande d’enregistrement sonore ou audiovisuel d’une audience en vue de sa diffusion n’est cependant pas automatique. Elle devra être adressée au garde des sceaux et préciser le motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique qui la justifie. La demande devra être accompagnée d’une description circonstanciée du projet éditorial et préciser les conditions de l’enregistrement et de sa diffusion. L’autorité sollicitée disposera alors d’un délai de quarante-cinq jours pour se prononcer. Une fois l’autorisation accordée, les personnes présentes ne pourront s’opposer à la captation non plus qu’à la diffusion en cas d’audience publique. En revanche pour les audiences à huis clos, chacun devra donner son accord à cet enregistrement. L’article 13 de ce décret révolutionnaire précise que les séquences enregistrées non retenues lors du montage effectué en vue de leur diffusion devront être détruites, leur conservation ou réutilisation étant strictement interdite.
Dans une société déjà inondée par l’image, cette réforme visant une transparence à tout prix, risque de transformer chaque spectateur en un tribunal populaire et chaque tribunal en une cible médiatique.
L’iconique magazine PHOTO invite Me Julie de Lassus Saint-Geniès, avocat au Barreau de Paris et fondatrice de la Boutique du droit dans ses pages.
C’est ainsi qu’à chaque numéro une chronique est consacrée à un aspect différent du droit de la photographie.
Me Julie de Lassus Saint-Geniès, est titulaire d’un DEA (aujourd’hui Master 2 Recherche) en droit de la propriété intellectuelle à l’Université Paris II – Panthéon Assas, sous la direction du Professeur Pierre-Yves Gautier et d’un DESS (aujourd’hui Master 2) de droit des affaires à l’université de Dauphine à Paris sous la direction des Professeurs Gastaud et Louvaris.
Après avoir collaboré avec Me Carine Piccio, Me Gérard Haas et Me Alain Toucas, Me Julie de Lassus Saint-Geniès a fondé la Boutique du droit, cabinet de pointe en droit des affaires incorporelles.