PHOTO n° 551 - "LA PHOTOGRAPHIE DE GUERRE" - chronique consacrée au droit de la photographie
Jusqu’où aller pour rendre compte de conflits armés ?
De la situation dramatique de l’Ukraine, nous percevons quotidiennement les stigmates, grâce à l’incroyable travail et au courage des reporters de guerre. Ils rendent compte par l’image des conflits armés et de leurs terribles conséquences pour les populations qui les subissent. A la vue de ces images déchirantes, l’on peut se demander s’il existe des restrictions à l’exposition de ces scènes de désolation, de ces corps sans vie, de ces familles éplorées, de ces enfants traumatisés.
Le droit de chacun au respect de la vie privée et de l’image, protégé par l’article 9 du Code civil français et l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, cède face aux nécessités de l’information. Aucune autorisation n’est alors nécessaire pour fixer ou publier une image rendant compte d’un événement d’actualité – expression assez lisse englobant juridiquement tout le spectre des drames humains (crimes, attentats, guerre).
La limite à cette prévalence est le respect de la dignité humaine, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt de principe rendu à propos de photographies de l’attentat du RER Saint-Michel (1995) et diffusées par « Paris Match ». Dans cette affaire, la Cour avait jugé licite la diffusion de l’image d’une femme blessée dans cet attentat, considérant que le cliché reproduit était dépourvu « de recherche de sensationnalisme et de toute indécence ».
En revanche, la même juridiction a jugé gravement attentatoires les photographies de l’accident du téléphérique de Bure : la photographie aérienne ne représentant pas une vue d’ensemble de l’accident « mais une vue dont le cadrage et le grossissement sont étudiés pour attirer l’attention sur les corps déchiquetés des victimes identifiées par un numéro aisément lisible, caractérise la recherche du sensationnel, en faisant fonctionner le ressort émotionnel face au spectacle de la mort ». Le Tribunal de Nanterre avait d’ailleurs relevé que d’autres organes de presse avaient reproduit « une image décente (…) montant les corps des victimes, en situation, recouverts de draps blancs ».
La publication de l’image du « (…) préfet (Erignac) assassiné, gisant sur la chaussée (…) » a également été jugée attentatoire à la dignité humaine.
Plus récemment, le Juge des référés de Paris a considéré qu’était attentatoire à la dignité humaine la diffusion de photographies de vidéosurveillance, minutées, relatant l’attentat de Nice « en train de se commettre », ces photographies « (…) s’avèrent indécentes par l’illustration de victimes courant pour échapper à la mort ou sur le point de mourir (…) Au surplus, ces photographies n’apportent rien de nouveau au droit à l’information légitime du public sur les faits ». Le Tribunal a d’ailleurs interdit toute nouvelle publication de ces clichés sous astreinte de 50.000 euros par infraction constatée.
A l’aune de ces décisions, l’on peut évidemment s’interroger sur le regard que porterait une juridiction qui serait saisie de la Une du New York Times représentant une famille ukrainienne gisant sur la chaussée.
Au-delà des textes de droit civils précités, l’article 35 quater de la loi du 29 juillet 1881 (dite loi de la presse qui s’applique donc aux reporters comme aux éditeurs) prévoit quant à lui deux conditions cumulatives pour qu’un cliché relatant un crime ou un délit soit fautif : « la diffusion (…) de la reproduction de circonstances d’un crime ou d’un délit, lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d’une victime et qu’elle est réalisée sans l’accord de cette dernière est punie de 15.000 euros d’amende ». L’accord d’une victime de guerre sera rarement donné de sorte que le débat se déplacera sur le respect de la dignité humaine, étant observé que rendre compte d’un événement douloureux n’est pas en soi attentatoire. L’offense naît d’un traitement inadapté traduisant une recherche de sensationnalisme au détriment de la personne humaine.
Julie de Lassus Saint-Geniès
Avocat à la Cour
L’iconique magazine PHOTO invite Me Julie de Lassus Saint-Geniès, avocat au Barreau de Paris et fondatrice de la Boutique du droit dans ses pages.
C’est ainsi qu’à chaque numéro une chronique est consacrée à un aspect différent du droit de la photographie.
Me Julie de Lassus Saint-Geniès, est titulaire d’un DEA (aujourd’hui Master 2 Recherche) en droit de la propriété intellectuelle à l’Université Paris II – Panthéon Assas, sous la direction du Professeur Pierre-Yves Gautier et d’un DESS (aujourd’hui Master 2) de droit des affaires à l’université de Dauphine à Paris sous la direction des Professeurs Gastaud et Louvaris.
Après avoir collaboré avec Me Carine Piccio, Me Gérard Haas et Me Alain Toucas, Me Julie de Lassus Saint-Geniès a fondé la Boutique du droit, cabinet de pointe en droit des affaires incorporelles.